Je ne parle pas d’enseignants robots

Alors que les enseignants robots continuent à relever de la science-fiction, l'intelligence artificielle gagne du terrain dans un grand nombre d'écoles. Selon Wayne Holmes, le recours à l’intelligence artificielle dans l'éducation doit être soigneusement examiné avant que l’intelligence artificielle finisse par se substituer aux enseignants.

Les récentes avancées de l’intelligence artificielle ont été à bien des égards impressionnantes, mais trop souvent aussi un peu perturbantes. D'une part, certaines technologies utilisant l’intelligence artificielle sont capables d'analyser des images médicales pour prédire l’apparition d’un cancer du sein, de maladies rénales ou d’un diabète à un stade précoce et de façon plus précise que peuvent le faire les experts humains – ce qui ouvre des possibilités intéressantes pour l'avenir de la santé. D'autre part, certaines technologies utilisant l’intelligence artificielle ont été à l’origine de la génération automatique de fausses nouvelles et images, de la discrimination systématique à l'égard de certains groupes ethniques et des femmes ou de la fragilisation d'élections et de référendums démocratiques – ce qui suscite de sérieuses préoccupations pour l'avenir de la société.

Il s’avère particulièrement intéressant que l'intelligence artificielle ait aussi fait discrètement son entrée dans les salles de classe. Que nous nous en réjouissions ou non, des entreprises bénéficiant de financements à hauteur de plusieurs millions de dollars vendent de plus en plus leurs technologies utilisant l'intelligence artificielle et axées sur l'éducation dans les écoles et cela, aux quatre coins du monde – malgré des preuves d'efficacité limitées, et en s'appuyant sur un nombre peu élevé de consultations ou de débats.

En effet, l'intelligence artificielle influe sur l'éducation de trois façons distinctes, mais complémentaires. Les éducateurs ont un rôle unique et crucial à jouer à cet égard : apprendre pour l'intelligence artificielle (aider tous les membres de la société à vivre de façon efficace dans un monde de plus en plus affecté par l'intelligence artificielle), apprendre sur l'intelligence artificielle (aider les élèves de tous âges à apprendre les mathématiques, les statistiques et le codage qui sont à la base des technologies utilisant l'intelligence artificielle), et apprendre avec l'intelligence artificielle (employer les technologies utilisant l'intelligence artificielle pour faciliter l'enseignement et l'apprentissage).

Jusqu'à présent, l'accent (orienté principalement sur la technologie plutôt que la pédagogie) a été mis sur les technologies utilisant l'intelligence artificielle qui ont été conçues pour personnaliser automatiquement l'enseignement. Avec ces « systèmes de tutorat intelligents », l’élève s’engage dans une activité d’apprentissage sur écran. La façon dont l'élève répond (les choix qu’il fait, les objets sur lesquels il clique et les réponses qu’il donne) détermine la prochaine activité d’apprentissage. En d'autres termes, le système adapte le parcours de l'élève à l'aide de la matière à apprendre en fonction de ses capacités individuelles, et tous les élèves suivent leur propre itinéraire personnalisé.

Comme tant de choses qui touchent à l'intelligence artificielle, en surface, c'est impressionnant. Cependant, les hypothèses sous-jacentes doivent être examinées. Il y a une métaphore erronée que je trouve néanmoins utile avec des bus scolaires et des taxis Uber. L'idée, c’est que l'autobus scolaire représente l'apprentissage en classe. Tous les élèves se trouvent ensemble dans le même bus et suivent le même parcours vers la même destination. D'autre part, les taxis Uber sont des systèmes de tutorat intelligents qui accompagnent chaque élève dans son propre itinéraire personnalisé.

Cependant, nous n'utilisons pas Uber pour des itinéraires personnalisés. Nous l'utilisons parce que le service nous emmène à l’endroit précis où nous, en tant qu'individus, souhaitons nous rendre. De même, pour que l’apprentissage soit réellement personnalisé, il devrait engendrer des résultats d'apprentissage personnalisés. Il devrait mettre les élèves aux commandes de leur propre apprentissage et les aider à réaliser leurs ambitions et leur potentiel personnels – pour parvenir à ce que les psychologues appellent l'« accomplissement personnel ». Les systèmes de tutorat intelligents ne permettent pas réellement d’atteindre cet objectif, notamment en raison de l’approche pédagogique axée sur le transfert de connaissances qu’ils incarnent.

Inévitablement, contrairement aux discours de marketing que l'on entend souvent, l’utilisation de l’intelligence artificielle à l'école engendre de nombreux défis qui doivent être relevés. Par exemple, l’évaluation continue reposant sur l’intelligence artificielle peut remplacer les examens traditionnels, mais nécessite également une surveillance permanente des élèves. L’utilisation de l'intelligence artificielle pour détecter et renforcer les émotions des élèves peut également encourager l’apprentissage, mais constitue aussi une invasion de la vie privée des élèves. Et l’évaluation faisant appel à l'écriture automatique peut réduire la charge de travail de l'enseignant, mais contribuera également à le priver de possibilités de mesurer les capacités des élèves. Il est également nécessaire de s’attaquer aux questions d'éthique liées à l'équité, la responsabilité, la transparence et les préjugés.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’affirmer que l’intelligence artificielle n'a aucune raison d’être dans les salles de classe. En effet, de mon point de vue, les outils utilisant l'intelligence artificielle qui ont été conçus pour aider les enseignants plutôt que les remplacer sont les bienvenus. Cependant, l'introduction généralisée de l'intelligence artificielle dans l'éducation doit faire l'objet d’un examen critique, et les éducateurs doivent mener des discussions préliminaires avec les technologues et les entrepreneurs actifs dans le domaine de l'intelligence artificielle afin de s'assurer que l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les salles de classe est réellement bénéfique et qu'elle a véritablement pour objectif l'apprentissage.

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Le Dr Wayne Holmes (@wayneholmes) est chercheur principal (éducation) chez Nesta, la principale fondation de l'innovation au Royaume-Uni et auteur principal de la publication Artificial Intelligence in Education: Promise and Implications for Teaching and Learning (2019).